THESAURUS - L'objectif, hormis les articles d'images et de sons glanés ou perso, est de constituer une base de données subjective autodidactique et transversale d'extraits de textes littéraires, poétiques.
Entendons-nous bien, je ne suis pas d'accord avec toutes les idées développées dans les textes, mais c'est leur choix et leur juxtaposition ici qui me semble aborder/contourner/recouvrir/dessiner plusieurs sujets qui m’intéressent.

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Soyez indulgents, le blog est tout neuf, j'ai encore pas mal d'archives de base à numériser et/ou transférer, en plus des nouvelles trouvailles.
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11/08/2012

André Laude, 1936-1995, Poèmes

copié dans le webzine "La Revue des Ressources"

dossier André Laude

http://www.larevuedesressources.org/des-poemes-d-andre-laude,062.html

Des poèmes d’André Laude

mercredi 20 juin 2012, par André Laude (1936-1995) (Date de rédaction antérieure : 1995).

André Laude : Famille ouvrière. Exilé à Paris, renouera plus tard avec la terre-mère : l’Occitanie. Ecole sous l’occupation nazie. Premières masturbations et premières révoltes. Très tôt écrit et rêve de devenir journaliste. Fait la connaissance d’une bande de poètes et peintres anticonformistes. Militant anarchiste. Autodidacte, lance à 17 ans le cri fameux : "A nous deux Paris". Réponse de l’écho : "Pauvre con". Apprend difficilement à bien faire l’amour. Rencontre André Breton, Benjamin Péret et quelques autres "phares". Guerre d’Algérie : horreur et souffrance. Des tas de petits métiers. Quitte l’Europe pendant plusieurs années. Voyages : Cuba, Orient, Asie... Revient en Europe. Ecrit dans cent journaux et magazines. Publie des recueils de poèmes. Pauvreté, humiliation. Laisse pousser sa barbe pour cacher les cicatrices. Un seul désir : vivre et jouir sans entraves en cherchant à faire la peau du vieil homme".
Ainsi se résumait André Laude en quatrième de couverture de Joyeuse Apocalypse, publié par Stock en 1973. Le poète est mort dans la misère d’une petite chambre le 26 juin 1995. Le journal Le Monde, auquel il avait collaboré durant des années comme chroniqueur littéraire, s’est souvenu de son existence et lui a consenti une notice nécrologique, le 28 juin. Parmi une oeuvre vaste et dispersée citons Couleur végétale, Dans ces ruines campent l’homme blanc, le Testament de Ravachol, Rue des Merguez... Dans les poèmes qui suivent, fragments d’un recueil en préparation et à jamais inachevé, résonne étrangement la voix posthume du poète anarchiste.
Michel Pérelle écrivait : "Ce qui nous réjouit chez André Laude, c’est la fraîcheur, la spontanéité et son envoûtante petite musique. Il est sincère au-delà des mots, il ne s’embarrasse pas de vers mesurés, il dit tout, comme ça, à cru, et ça vibre, ça nous émeut. Voudrait-il écrire un méchant poème qu’il ne le pourrait pas. André est pauvre, malade, mais il n’est jamais amer. Il a l’orgueil des grands : la grâce. Ne nous y trompons pas, il sait tirer à boulets rouges (et noirs) sur la saloperie des hommes. Il est du Sud (Occitanie) mais il est né et vit à Paris, et il a hérité de la "douleur polonaise". Il sait, dans le Grand Nord, apprivoiser la ronde des loups, et, au Mexique, faire chanter les veuves noires. D’aucuns diront qu’il y a quelque naïveté à écrire, par exemple des journaux de voyages. D’aucuns diront qu’au fond de son désespoir, il est furieusement optimiste comme les grands révoltés. Qu’il sait que l’Humanité renaîtra de ses cendres."
(Robin Hunzinger a choisi de vous faire redécouvrir les poèmes, que nous avons publiés en 1995 dans la revue "Points de fuite", de cet auteur de génie, né le 3 mars 1936 et mort le 24 juin 1995.).
*
Je m'appelle personne, André Laude
Je m’appelle personne
Je me hais et je veux mourir. Je me hais
et je veux mourir.
Fermez les yeux. Songez une dernière fois
à mon profil de poète grec,
dans la plus pouilleuse île.
Je serai, à partir de ce jour, ciel, ciel et ciel.
Ciel au-delà de vos folies meurtrières.
Je serai ciel. Je serai éternel.
* Entre et sang, André Laude

 
Encre et sang
Je fais de ma vie de nuit en nuit un tas d’ordures.
Je fais de ma vie une brumeuse chronique.
Je fais de ma nuit le carrefour des fantômes.
Je fais de mon sang un long fleuve
qui tape à mes tempes.
Je fais de ma peur un oiseau noir et blanc
Je fais d’un oiseau mort, pourri,
l’enfant que j’aurais pu être.
Je fais d’un enfant un feu fou, un bloc de cendres.
Je fais de ma mort à venir un festin de serpents.
Je fais d’un serpent la corde pour me pendre.
Je fais d’un long, acharné silence le testament
de tout ce qui fut désastres, horreurs, ennuis,
ruptures et interminables hurlements.
Je pisse de l’encre et du sang.
Je pisse de l’encre et du sang.
Je chante sur le bûcher des châtiments.


*
Le ver dans le fruit
Je longe le long sillon qui conduit aux morts muets.
Je songe à la neige, aux chevaux de feu,
à l’hiver des paroles.
Je vois des bois brûlés, des vaisseaux échoués,
des mouettes prises par le gel.
Je longe le fleuve de sang et de larmes
qui traverse les inquiétantes ruines.
Je sens l’odeur des prédateurs, l’urine
de la hyène, la matière fécale des jeunes bébés.
J’écris à partir d’un noyau de nuit.
J’écris à partir d’une tranchée noyée de boue.
J’écris corde au cou.
La trappe déjà tremble sous mes pieds.
Je longe le marbre froid qui donne le frisson
et chante une très étrange et vieille chanson,
qui dit qu’aujourd’hui et pour toujours
le ver est dans le fruit.
* Enfer vert, André Laude
Enfer vert
Dans l’enfer vert j’ai bâti une maison
de prières et de clameurs.
La nuit j’entends d’étranges sons.
Sont-ils des Séraphins,
des sombres démons d’avant Colomb.
Dans l’enfer vert je traîne ma vieille carcasse.
Je joue au poker. J’ai toujours trois as.
Je fume des cigares de Cuba
et je bois des alcools de fièvre.
J’écrase de grosses mouches
suceuses de sang sur mes lèvres.
J’ai bâti une maison d’air et d’ouragan.
J’ai préparé le lit nuptial pour la femme des femmes.
Le revolver est là, posé sur la table de bois sauvage.
Sous une lune froide j’attends crime et châtiment.
*
Corrida, André Laude
Corrida
J’adhère à ma mort comme l’astre au ciel.
La vie cruelle
a tué en moi beaucoup d’or
et d’enfants qui ont pleuré au bord des lèvres.
Le temps est venu
de remettre les pendules à l’heure.
Adieu heure d’été, Adieu heure d’hiver
c’est maintenant l’heure de l’exil blanc et des remords.
Déjà je m’enfonce en terre
chandelle éteinte.
En bon et fougueux matador
j’esquisse une feinte.
A quoi sert de défier cape rouge et cape noire.
La poésie est simple comme bonsoir
au milieu d’une arène de sable et de sang. Décapité.
*
Cercle Rouge, André Laude
Cercle rouge
Combien de taureaux cruels dans les faubourgs de l’amour.
Combien de taureaux dans les ruelles de l’errance
où je cherche Marie-Juana au visage d’enfance abîmé
par les matelots de Sydney, Vancouver et Brest-Recouvrance.
Combien de taureaux fous derrière mon front de rêveur.
Combien de vers dans la sombre tombe où repose mon ami.
Combien de clous enfoncés dans ce cercle rouge mon coeur.
Combien de prophètes et de sourciers au bout des déserts.
Je cherche Marie-Juana une femme sans âge,
elle est sorcière du monde des légendes des pays verts.
Elle est l’hostie sur mes lèvres
et la lampe à huile au fond de mes yeux.
Combien de taureaux aveugles et combien de feux
et combien de morts dans des guerres pour d’obscures îles.
*

En traversant le pays des morts
En traversant le pays des morts
en route vers Aden les terres d’Arthur Rimbaud.
Je suce mes doigts à cause de la soif
de la malaria, du cancer des os.
Je songe à la Bretagne,
aux femmes aux hautes coiffes.
Je songe aux piroguiers du fleuve Zaïre.
Je songe aux oiseaux bariolés d’Amazonie.
Je songe au sexe chaud de l’indienne
à la tombée de la nuit.
Je songe à une espèce de poème
déclamé par un fou de génie
qui ferait taire les perroquets verts.

P.-S.

Le poème qui suit nous a été gracieusement communiqué en juin 2003 par Eric B., qui témoigne : "Aprés lui avoir consacré une soirée exclusive en 1989, l’association Poésimage (disparue depuis) avait organisé une biennale d’art contemporain en 1993. Chargé du mur de poèmes, j’ai retrouvé dans mes ’cartons’ cet inédit d’André Laude. A l’époque, de chacune de ses poches, sortaient des petits tire-bouchons de papiers sur lesquels s’inscrivaient au fil des jours cette poésie couleur d’homme."
D’après un film retrouvé de Luis Buñuel
Vieux cow-boy dans canyon délabré
En dessous des aigles livides le squelette des chercheurs d’or
Vieux cow-boy rescapé de toutes les guerres indiennes
Marié jadis à Chihuahua fille de Pancho Villa
De la poussière aux yeux et ongles des mendiants chicanos
Du bleu du ciel d’Oaxaca dans le sommeil des soldats
qu’attendent des munitions pour attaquer le train du Président gringo
Vieux cow-boy aux cent cicatrices qui hier encore tuait au nom du Père et du Fils
Vieux cow-boy mort à l’est du Rio qui rêve comme Fenimore Cooper d’une carabine sans crosse ni canon
André Laude, 22 mai 1993

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