THESAURUS - L'objectif, hormis les articles d'images et de sons glanés ou perso, est de constituer une base de données subjective autodidactique et transversale d'extraits de textes littéraires, poétiques.
Entendons-nous bien, je ne suis pas d'accord avec toutes les idées développées dans les textes, mais c'est leur choix et leur juxtaposition ici qui me semble aborder/contourner/recouvrir/dessiner plusieurs sujets qui m’intéressent.

Cette partie s'aborde en navigant par MOT-CLE ou AUTEUR

Soyez indulgents, le blog est tout neuf, j'ai encore pas mal d'archives de base à numériser et/ou transférer, en plus des nouvelles trouvailles.
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04/08/2012

Virginie DESPENTES - King Kong Théorie - 003

Auteur : Virginie DESPENTES

Titre original : King Kong Théorie.

ISBN : 2-246-68611-3
Grasset, Septembre 2006
Page 28 à 31.


On entend aujourd'hui des hommes se lamenter de ce que l'émancipation féministe les dévirilise. Ils regrettent un état antérieur, quand leur force prenait racine dans l'oppression féminine. Ils oublient que cet avantage politique qui leur était donné a toujours eu un coût : les corps des femmes n'appartiennent aux hommes qu'en contrepartie de ce que les corps des hommes appartiennent à la production, en temps de paix, à l'état en temps de guerre. La confiscation du corps des femmes se produit en m^me temps que la confiscation du corps des hommes. Il n'y a des gagnants dans cette affaire que quelques dirigeants.
 (...)
De la même manière, les femmes auraient intérêt à mieux penser les avantages de l'accession des hommes à une paternité active, plutôt que profiter du pouvoir qu'on leur confère politiquement, via l'exaltation de l'instinct maternel. Le regard du père sur l'enfant constitue une révolution en puissance. Ils peuvent notamment signifier aux filles qu'elles ont une existence propre, en dehors du marché de la séduction, qu'elles sont capables de force physique, d'esprit d'entreprise et d'indépendance, et de les valoriser pour cette force, sans crainte d'une punition immanente. Ils peuvent signaler aux fils que la tradition machiste est un piège, une sévère restriction des émotions, au service de l'armée et de l'Etat.
Car la virilité traditionnelle est une entreprise aussi mutilatrice que l'assignement à la féminité. Qu'est-ce que ça exige, au juste, être un homme, un vrai ? Répression des émotions. Taire sa sensibilité. Avoir honte de sa délicatesse, de sa vulnérabilité. Quitter l'enfance brutalement, et définitivement : les hommes-enfants n'ont pas bonne presse. Etre angoissé par la taille de sa bite. Savoir faire jouir les femmes sans qu'elles sachent ou veuillent indiquer la marche à suivre. Ne pas montrer sa faiblesse. Museler sa sensualité. S'habiller dans des couleurs ternes, porter toujours les mêmes chaussures pataudes, ne pas jouer avec ses cheveux, ne pas porter trop de bijoux, ni aucun maquillage. Devoir faire le premier pas, toujours. N'avoir aucune culture sexuelle pour améliorer son orgasme. Ne pas savoir demander d'aide. Devoir être courageux, même si on n'en a aucune envie. Valoriser la force quel que soit son caractère. Faire preuve d'agressivité. Avoir un accès restreint à la paternité. Réussir socialement, pour se payer les meilleures femmes.
(...)
Afin que, toujours, les femmes donnent les enfants pour la guerre, et que les hommes acceptent d'aller se faire tuer pour sauver les intérêts de trois ou quatre crétins à vue courte.
Si nous n'allons pas vers cet inconnu qu'est la révolution des genres, nous connaissons exactement ce vers quoi nous régressons. Un Etat tout-puissant qui nous infantilise, intervient dans toutes nos décisions, pour notre propre bien, qui - sous prétexte de mieux nous protéger - nous maintient dans l'enfance, l'ignorance, la peur de la sanction, de l'exclusion. Le traitement de faveur qui jusqu'alors était réservé aux femmes, avec la honte comme outil de pointe pour les tenir dans l'isolement, la passivité, l'immobilisme, pourrait s'étendre à tous. Comprendre les mécaniques de notre infériorisation, et comment nous sommes amenées à en être les meilleurs vigiles, c'est comprendre les mécaniques de contrôle de toute la population. Le capitalisme est une religion égalitariste, en ce sens qu'elle nous soumet tous, et amène chacun à se sentir piégé, comme le sont toutes les femmes.

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