THESAURUS - L'objectif, hormis les articles d'images et de sons glanés ou perso, est de constituer une base de données subjective autodidactique et transversale d'extraits de textes littéraires, poétiques.
Entendons-nous bien, je ne suis pas d'accord avec toutes les idées développées dans les textes, mais c'est leur choix et leur juxtaposition ici qui me semble aborder/contourner/recouvrir/dessiner plusieurs sujets qui m’intéressent.

Cette partie s'aborde en navigant par MOT-CLE ou AUTEUR

Soyez indulgents, le blog est tout neuf, j'ai encore pas mal d'archives de base à numériser et/ou transférer, en plus des nouvelles trouvailles.
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02/04/2012

Norman SPINRAD - Il est parmi nous. - 003

Auteur : Norman SPINRAD

Titre original : He walks among us.

Titre français : Il est parmi nous.
ISBN : 978-2-290-02126-2
J'ai Lu, Octobre 2010, traduction Sylvie Denis et Roland C. Wagner.
Pages 586 à 589.


    Relire La Transformation au petit matin, avec le Santa Ana qui tourbillonnait autour de lui tels les vents du temps, fut un exercice de mortification éclairée pour Dexter Lampkin.
    Oh, quel innocence il avait fallu pour oser écrire un tel livre dans la lumière blanche et brillante de la passion de l'Ère du Verseau ! Oh, quel crétin il avait été de croire qu'il en vendrait un million d'exemplaires en poche et changerait le monde !
    Bon, il n'était pas vraiment le seul, à l'époque, à faire dans le messianisme. Timothy Leary attirait tout de même les gros titres et les foules avec son appel à « turn on, tune in and drop out » - abandonner l'état actuel de l'évolution pour entrer dans le suivant ; c'était l'époque où Jim Morrison voulait le monde et le voulait tout de suite, où Star Trek devenait un culte de masse, où 2001 lançait un million de trips d'acide.


    Dexter se souvint qu'il avait tenté de ne pas s'endormir au cours de la Convention mondiale de science-fiction de 1968, quand Philip José Farmer avait mis ce qui lui avait semblé des siècles pour expliquer qu'ils devaient se réunir, retrousser leurs manches et sauver le monde de la grosse pluie qui ne manquerait pas de leur tomber sur la tête autrement.
    Phil Farmer avait écrit son long discours en vue de le publier et, implacable, l'avait lu du début à la fin devant un public d'écrivains et de fans pressés de découvrir lequel d'entre eux avait remporté le prix Hugo. Dans les cercles faniques, ce discours était devenu synonyme d'ennui tendancieux, et pourtant...
    Et pourtant, en relisant son propre laïus de l'époque, Dexter se rendait compte à quel point Farmer avait eu raison, à l'Âge du Joint avec les émeutes étudiantes, les fans qui le chahutaient et ses collègues qui fuyaient vers le bar.
    « Les décennies à venir verront une série de crises décisives pour l'espèce », voilà en substance ce que Phil avait dépeint en 1968 ; la dégradation de la biosphère, la surpopulation au-delà de ce que pouvait supporter la planète, toute la litanie des désastres imminents qui, dans les décennies suivantes, étaient devenus les lieux communs aussi bien de la science-fiction que pour les experts.
    En y repensant, ce que Dexter n'avait jamais fait jusque-là, il n'y avait pas grand-chose, dans la longue liste de malheurs planétaires de ses extraterrestres imaginaires, que Phil Farmer n'eût pas exposé à des auditeurs bien trop impatients de découvrir qui avait gagné la fusée en plastique pour prendre la peine de l'écouter.
    « Nous le savons tous, avait dit Phil de sa voix monocorde dans la tornade des butors, si la communauté de la science-fiction ne se rassemble pas pour agir, la biosphère va se dégrader, le chômage massivement grimper, nous connaîtrons la guerre, la famine, l'effondrement économique, la mort de la civilisation, peut-être de l'espèce humaine elle-même. »
    Pratiquement personne ne s'était engagé dans la croisade de Phil Farmer et La Transformation avait sombré dans les bacs des bouquinistes avec le reste de la science-fiction soi-disant éclairée de l'époque et échoué à sauver la Bande de Macaques de sa propre connerie.
    Mais rien d'autre non plus, n'est-ce pas ?
    Jusqu'à maintenant, en tout cas... se surprit à oser penser Dexter quand il eut achevé sa relecture de La Transformation. Car, si les décennies intermédiaires avaient démontré quelque chose, c'était qu'il n'existait pas de chaire plus brutale que le petit écran. Il ne l'ignorait pas quand il avait cherché à faire du « Monde selon Ralf » un moyen de servir ses desseins. Mais il avait fallu un voyage dans le passé sous l'influence de George et du Santa Ana, et son vieux tube personnel, pour comprendre à quel moment la révolution transformationnelle s'était trompée. La glissade vers le bas jusqu'à la Nef des Morts avait commencé lorsque ceux qui aspiraient à porter la première lumière de l'aube s'étaient mis à épeler « Amérike » avec un K.
    JFK avait proclamé qu'il valait mieux allumer ne fût-ce qu'une bougie que de maudire les ténèbres ; peut-être n'était-ce pas par accident que le format télé de son administration ressemblait à Camelot et s'il avait été le dernier Président américain à incarner une sorte de Roi-Soleil. Car ce que Jackie Kennedy savait, ou ce que le personnage télé de JFK incarnait, c'était qu'on ne pouvait pas faire la révolution quand on traitait les gens de voleurs.
    Impossible de transformer des singes en hommes en leur tapant sur la tête avec leur propre connerie, même avec une tarte à la crème ou une vessie de porc.
    Et le Dexter D. Lampkin qui avait pondu avec cynisme deux cent soixante-seize pages d'un livre dérivé de l'émission appelé Le Monde selon Ralf avait oublié autre chose que l'auteur de La Transformation avait su.
    Dexter avait autrefois cru que le temps était une rue à sens unique, mais si Feynman, Einstein, Dirac et Cam Carswell avaient des doutes, qui était-il pour se faire le champion de la causalité linéaire quand il se retrouvait confronté à sa propre boucle de feedback temporel dans le monde réel ?
    Il n'avait pas besoin de croire en la réincarnation ni dans les messages de l'au-delà pour savoir qu'il venait juste de recevoir de son soi antérieur celui dont il avait besoin à présent. À lui qui avait mis La Transformation sur disque afin d'en cannibaliser le texte, c'était le livre qui lui disait exactement quoi faire.
    C'était là depuis le début.
    Dans son roman, les scientifiques avaient créé un sauveur bidon venu de l'espace ; pas quelqu'un qui maudissait les ténèbres en train de se rassembler, mais quelqu'un qui allumait les bougies. Dans son roman, on embobinait la Bande de Macaques pour qu'elle sauve le monde elle-même en l'amenant à croire que les connaissances qu'elle employait pour le faire venaient d'extraterrestres avancés.
    Cette connaissance existait dans le monde réel.
    Il avait tout écrit, juste là, dans La Transformation.
    Comme dans le roman, il existait dans le monde réel une communauté de gens qui savaient quoi faire et comment. Il ne pouvait certes pas créer un extraterrestre synthétique évolué que les gens croiraient vraiment capable de sortir le monde des ténèbres et de le guider vers la lumière, mais il avait un contrat pour un livre sous la couverture duquel il pouvait mettre à peu près ce qu'il voulait et une émission qui lui assurerait au moins un demi-million de lecteurs.
    Et un Ralf qui venait de se proclamer l'Aigle, la Grande Betterave céleste de la Double Hélice. Un Ralf dont la réplique de sortie avait été un appel de pirate de l'air comique à réquisitionner le Vaisseau Terre et à le piloter jusqu'au Pays de Demain avant qu'il ne soit trop tard.
    Eh bien, pourquoi pas ?
    L'humour faisait vendre.
    Ralf permettait déjà d'écouler des stocks de T-shirts, de vestes de jogging et de costumes en vilain polyester ; il ferait aussi vendre des quantités de n'importe quel livre intitulé Le Monde selon Ralf.
Alors, pourquoi la Grande Betterave céleste de la Double Hélice ne pourrait-elle pas vendre aussi le sauvetage de la planète?

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