fiction > Balayage

Le balayage, putain, c'était devenu ma spécialité. Depuis qu'il m'avait fait cette réflexion sur mon incapacité à entretenir correctement l'appart il y a un mois... je balayais. A 11h23, hop je sautais sur l'engin de mort et me mettais frénétiquement à racler le plancher. De retour du boulot, la porte passée, il ne pouvais que constater l'indubitable énergie que je mettais à remplir les creux entre les lattes du plancher avec les reliefs divers de notre vie commune. Il retirait ses chaussures de sécurité, sortait sa veste jaune fluo et ses gants de son sac, se lavait les mains en me regardant d'un air furibard et une fois sur deux, immanquablement me lançait :

- ̏ Mais bordel tu te fous de ma gueule."

Je ne répondais rien, j'arrachais des bourres restées accrochées aux franges de l'ustensile et reprenais ma tâche.

- "Mais enfin fais autre chose quoi ! La vaisselle, le repassage, je sais pas moi!"

Ce jour là j'ai mis les bouchées doubles, j'ai repoussé les chaises, tiré la table, en essayant au passage de cogner le fauteuil où il s'était avachi comme tous les jours.

- "La bouffe est même pas prête, t'as que ca à foutre de la journée, tu vas pas me dire que d'écrire tes conneries pour ton canard de merde ca te prends la matinée. Je passe mes journées à ramasser les saloperies des gens, y en à qui balancent leurs mouchoirs devant moi, DEVANT MOI, alors que les poubelles sont à coté, A COTÉ ! Ce matin je venais de finir la rue Ambroise Paré quand une vieille à fait chier son chien à coté du distributeur de Caniprop, je lui ai dit, elle m'a pas entendu, elle m'a même pas vu la vioque. Les nouveaux balais sont arrivés mais évidemment y en a pas pour moi je suis le seul, le SEUL à travailler avec les anciens, ceux qui ont pas le distributeur de désinfectant ni le système pour accrocher la pince. Du coup j'ai pas de pinces, du couples trucs collants je les ramasse à la main. Les gars ca les fait marrer, et Fournier, il se régale Fournier ! Déjà la dernière fois en attribuant les secteurs il m'a filé le pire, LE PIRE, le quartier Saint-Mathieu normalement c'est pour les jeunes, les p'tits nouveaux ! Toute la matinée j'ai ramassé des capotes et quand je rentre ma nana qui passe son temps à écrire des trucs de gonzesses pour des féministes elle balaye ! Non mais je pète les plombs, je pète les plombs !

Pour fignoler le truc j'ai fait un petit tas propret devant ses pieds et j'ai grommelé : ̏ Une pelle...

- Quoi une pelle, t'as pas une pelle, tu veux que je t'ramène ma pelle du boulot ? Tu veux pas mon balai non plus!

- Non, j'ai répondu en rigolant méchamment, mais tu pourrais m'en rouler une en arrivant,... et balayer ainsi mes doutes quant au bien fondé de notre relation.̋

Il m'a collé une beigne et s'est barré, je l'ai plus jamais revu.

Voilà, c'est comme ca que j'ai mis fin à deux ans de vie de couple. Les balayeurs, putain, j'men ref'rais pas un, hein.

auteur : Duffy Laney-Guille

suite à un lancer de projet par Hervé Bougel sur Fb
en 1500 signes max. écrire un texte autour d'une expérience du balayage professionnel
voir aussi le blog des éditions Pré # Carré : http://precarreditions.hautetfort.com/